Je dessine une boîte. Théo demande ce qu’il y a dedans. Je hausse les épaules.

— Devine !

Théo :

— Moi, malheureusement, je ne sais pas voir les moutons à travers les caisses. J’ai dû vieillir sans m’en apercevoir.

 

 

— Quand on casse les larmes on pleure plus.

 

 

— Mam… papa, dis moi pourquoi les chiens ils enterrent leur os dans la forêt et pas leur crotte ?

Un temps. On entend murmurer les arbres.

Théo :

— Ils dorment pas ces gens là. Pourquoi ils dorment pas ?

Moi :

— Parce que ce sont des fous, des bouffons ; ils ne dorment pas parce qu’ils ne sont jamais fatigués.

Théo :

— On a jamais vu des fous du roi fatigués.

 

 

Théo reste songeur devant une vieille photographie de famille. Puis…

— Comment ça se fait que tes parents sont morts ? Quand je serai grand, quand j’aurai un petit enfant ça sera toi et maman qui vont mourir, oh je veux pas que tu meures, après mon enfant y sera tout seul, après ce sera lui qui sera mort, et après et après…

(plus tard)

— Je m’ai cogné la tête en pensant à tout ça. J’ai perdu ma mémoire, elle est dans un autre enfant.

 

 

Théo :

— J’ai fait un rêve terrible, aller à l’école et rester toujours à l’école.

Moi :

— Qu’est-ce que tu faisais ?

Théo :

— Je travaillais.

 

 

— Ma maîtresse elle s’appelle Myriam, elle travaille mais pas encore à lire.

 

 

— Maman, j’adore être enfant. Non mais sincèrement, j’adore être enfant. Je veux pas grandir, j’adore être enfant.

 

 

Théo :

— Je vais te dire un truc s’il te plaît que tu dises oui et d’accord… et s’il te plaît que ça t’intéresse… Pa… Maman… s’il te plaît que ça t’intéresse ce que je vais te dire… oui mais ça va pas t’intéresser…

— Dis toujours.

— Pourquoi les hommes quand ils sont petits ils adorent les jus et quand ils sont grands ils adorent les cafés ?

— La réponse est dans la question.

 

 

 

Théo :

— Papa, j’ai un énorme problème. J’en ai marre, je suis épuisé et j’arrive pas à m’endormir.

— C’est pourtant bien, la sensation de ne pas arriver à s’endormir.

— Pourquoi?

— C’est jouissif.

— C’est quoi jouissif ?

— C’est quand quelque chose te donne du plaisir.

— Le papa de Radu il a mangé un cerveau de mouton. Il a trouvé ça jouissif.

 

 

Théo :

— Radu il s’est fait mal dans l’œil, il a encore le rouge, un monstre est venu et il l’a griffé.

— Un monstre de quelle espèce ?

— Il était un squelette.

 

 

 

Théo à son père mollasson :

— Papa tu es roc !

— ????

— T’es un soldat, toi. C’est vrai ça. Pas vrai dis ?, tu faisais la guerre avant. Avec des géants, pas vrai ? J’aimerais beaucoup que tu m’accompagne parce qu’il y a beaucoup de géants et de sorcières là bas. J’aimerais que tu dormes avec moi dans un lit moyen grand.

 

 

— Quand j’srai grand je ferai des bisous à Lucie sur les fesses et dans sa bouche et on va s’inventer, on va le faire et finir et Lucie elle aura pas de barbe sur la zigounette. Je vais devenir un super héros, Man 2, et Lucie elle sera pas morte elle sera sauvée des piranhas. Je vais tuer tous les méchants qui aiment Lucie. Je vais l’envoyer au Portugal, elle va devenir une fiancée Portugaise. Et voilà c’est fini.

(plus tard)

— Papa, est-ce qu’il y a beaucoup de Lucie ? Parce que s’il y en a beaucoup je veux pas me marier avec. Il y a qu’un seul papa, qu’une seule maman, qu’un seul Théo, je veux qu’il y ait qu’une seule Lucie.

 

 

Sa compagne des jours avec et sans est repartie dans sa nuit.

Il regarde leur enfant dormir…

— Il est 22h et les petits enfants du quartier sont couchés, cheveux collés sur le front, odeur fiévreuse de pain d’épice, légers feulements hachurés par leurs émois de la nuit, la longue et trop courte nuit qui les enlace dans sa barque rude et cahotante… Radu à deux rues d’ici, Petrus et Yolan, là haut, Lucie et ses jolies fesses tout à côté et si loin… loin si loin aussi les années 60 de ma jeunesse, le béret sur l’oreille.